Culture & Communication. Interview #18 : Lucien Ammar-Arino, directeur délégué de Viadanse CCN de Bourgogne France-Comté
Chaque mois, nous allons à la rencontre des dirigeant·e·s et communicant·e·s du secteur pour partager leurs visions du métier, leurs bonnes pratiques et leurs motivations. À quelques jours de la célébration du 30e anniversaire de la Caserne de l’Espérance, CCN de Belfort, nous avons interviewé Lucien Ammar-Arino, directeur délégué aux côtés de Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, depuis 2018. Un entretien comme un voyage artistique dans le temps et les différents espaces de la danse avec un passionné de la rencontre avec les publics. Une émoji pour commencer ? 🤷 émoji ambivalente Un emoji qui exprime un sentiment partagé à la veille d’un gros événement parce qu’on a hâte d’y être et que ça se concrétise mais avec une petite dose de stress, parce que la pression monte, même si ce n’est pas mon premier événement.Lucien a récemment quitté la co-présidence de l’ACCN qui l’a amené à s’investir fortement dans les 40 ans du label tout au long de l’année 2024). Comment avez-vous commencé votre vie professionnelle dans la culture ? C’est un long périple qui a commencé très tôt, dès 8 ans, sous l’impulsion de ma professeure de danse. Elle a convaincu mes parents de m’inscrire à l’école de l’Opéra de Paris. J’y ai passé 3 ans en tant qu’élève avant de démissionner même si tout se passait très bien avec Claude Bessy. Cette institution a déclenché chez moi une envie soudaine de voir ailleurs. J’ai alors poursuivi mes études au CNSMDP à l’époque de Quentin Rouiller, j’y ai approfondi ma culture chorégraphique à dominante classique avec une ouverture forte sur le contemporain. Après avoir terminé mes études de danse, j’ai intégré le Laipziger Ballett (Opéra de Leipzig), à l’époque sous la direction d’Uwe Scholz. Après deux saisons j’ai quitté la compagnie. Même si j’étais passionné par la danse, je me suis dit que je n’avais pas envie de rester sur le plateau, et je voulais élargir mes horizons. Dans cette perspective, j’ai effectué une double licence d’arabe moderne et de management au sein de la prestigieuse School of Oriental and African Studies (SOAS, Université de Londres, grande école spécialisée dans les études africaines et asiatiques) avec l’objectif de travailler dans le monde arabe, dans le domaine du commerce international. Dans le cadre de mon cursus, j’ai passé un an à l’Université d’Alexandrie pour me perfectionner en arabe et pour apprendre le dialecte arabe égyptien. Par le plus grand des hasards, j’ai rencontré une personne qui travaillait à l’Opéra d’Alexandrie où ils recherchaient un professeur de danse classique. Même si j’avais à l’époque fait une coupure avec le monde de la danse, j’ai accepté avec enthousiasme cette proposition, et j’ai repris le chemin des studios de danse, dans l’objectif de parfaire ma pratique de la langue arabe, au contact de mes futurs élèves. Je me suis rapidement pris au jeu et me suis découvert une nouvelle passion : l’enseignement de la danse. Quel a été ton parcours jusqu’au CCN de Belfort ? De retour à Alexandrie après avoir terminé ma formation à l’université de Londres, j’ai eu l’occasion d’occuper plusieurs postes, pour le ministère égyptien de la Culture, au sein de l’Opéra du Caire, puis en tant que chef de projet et directeur artistique d’un festival pluridisciplinaire, porté par la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh. En parallèle, j’ai ouvert ma propre école de danse à Alexandrie, un lieu d’enseignement où, à côté des cours de danse, nous organisions différents types d’événements culturels, afin d’accueillir des publics d’autres champs artistiques que la danse. Nous avons également mis en place un prêt de studio destiné à des groupes locaux de théâtre et de danse folklorique. Le tout permettait un grand brassage de publics. Dans ce contexte, nous avons monté, avec une amie plasticienne, un festival de création chorégraphique in-situ en 2011. Intitulé Nassim el Raqs (souffle de la danse, en référence à la grande fête égyptienne de Cham el Nessim, qui a lieu chaque année au printemps), ce projet permettait de faire émerger 4 à 6 formes chorégraphiques, que le public était invité à découvrir, à l’issue des processus de création, sous la forme d’une balade dans la ville. L’ambition était de faire en sorte que la danse ne soit plus une activité “de niche”, d’ouvrir cette pratique sur la ville, de l’amener à la rencontre de publics très divers, dans une multitude de lieux non-dédiés (un garage automobile, une place, un grand magasin, la gare centrale, des appartements, etc.). Pendant trois ans et demi, j’ai également assuré l’enseignement de la danse classique aux jeunes danseurs contemporains inscrits dans la formation du Cairo Contemporary Dance Center, sous la direction de Karima Mansour, cursus initialement intégré à l’Opéra du Caire, avant de devenir indépendant. C’était une expérience passionnante dans le rapport à la danse et à l’enseignement, un travail d’introspection tout comme une réflexion sur la place, le rôle et la pertinence de ce que l’on transmet. Finalement, nous étions déjà dans une démarche de droits culturels : qu’est-ce que j’apporte à ces danseurs, comment rendre l’enseignement physiquement et culturellement recevable, comment adapter le langage et le vocabulaire au lendemain de la révolution égyptienne. Cette formation de danse contemporaine est malheureusement devenue privée, alors qu’elle avait démarré comme une formation publique, gratuite, prise en charge par le ministère égyptien de la Culture. J’ai fini par rentrer en France en 2016 car même si les projets que j’avais développés étaient passionnants, la situation restait très précaire. Il devenait très difficile de porter toutes ces actions en tant qu’entrepreneur avec l’évolution de la situation politique et de la conjoncture économique. J’ai continué à travailler avec la Fondation Anna Lindh sur des traductions et je suis passé par d’autres missions, notamment dans l’hôtellerie, afin de compléter mes maigres revenus. Au sein de mon école de danse, j’avais accueilli en 2013 un stagiaire du Master 2 Direction de projets et d’établissements culturels internationaux de l’Université Lyon 2, ancien danseur de hip-hop en reconversion. Son expérience m’a inspirée et j’ai décidé par la suite de m’inscrire dans la même formation. En…