Chaque mois, nous allons à la rencontre des dirigeant·e·s et communicant·e·s du secteur pour partager leurs visions du métier, leurs bonnes pratiques et leurs motivations. 

En ce début d’année, pour le 7e entretien, nous avons échangé avec Ludovic Moreau, directeur au parcours de communicant de l’Avant Seine / Théâtre de Colombes (92) et Alexandre Minel, directeur de la communication et du développement. Deux professionnels de la culture et du spectacle vivant, au cœur d’un projet pluridisciplinaire.

Ludovic Moreau est entré dans les métiers de la culture par le biais des emplois-jeunes, et découvre les métiers de la communication par les relations avec le public. Après une première longue expérience dans ce qui est aujourd’hui le CDN de Normandie-Rouen du Petit-Quevilly où il commence à programmer de la danse et du jeune public, il prend le secrétariat général de L’Onde Théâtre Centre d’art de Vélizy-Villacoublay. Là, il est en charge plus directement de la communication avec une petite équipe, accompagne le changement d’identité du lieu et initie un travail de relations médias. Six ans plus tard, il postule à l’Avant Seine, suite logique d’un parcours orienté vers la gestion d’un lieu culturel et en prend la direction en 2017.

« Je me vois aussi comme un directeur avec une vision complète des métiers de la communication et des RP spécifiques au monde de la culture. »

Ludovic Moreau

Alexandre Minel, lui, est directeur de la communication et du développement depuis 2019. Un poste qui est véritablement le « condensé de tout ce que j’ai pu faire jusqu’ici ». C’est son envie de devenir journaliste culturel et un stage aux Nuits de Fourvière de Lyon en tant qu’attaché de presse qui l’ont amené vers la communication culturelle. Il devient ensuite l’un des premiers community managers du secteur à la Biennale de la danse, passe par la MC93, repasse aux Nuits de Fourvière, avant de rejoindre l’agence Myra. Une belle rencontre avec la responsable des relations publiques du Tanztheater Wuppertal le conduit en Allemagne pour suivre un projet de médiation avec des adolescents, avant de revenir en France, à l’Avant Seine, avec l’envie d’accompagner le nouveau projet de cette maison. 

Pour commencer, 3 mots qui définissent votre communication ?

Ludovic Moreau : Pop ET Populaire, ludique et inclusive. La communication est là aussi pour déconstruire l’image qu’on a de la culture, pour rendre le lieu amusant et vivant. Nous avons élaboré un cahier des charges pour recruter un graphiste en externe, un processus très important car de nombreuses actions se basent sur cette identité. Dans la conception de l’identité et ses déclinaisons conçues en collaboration avec Mora Prince / Atelier c’est signé, j’ai voulu beaucoup de couleurs et de chaleur. Cette identité vit dans le lieu par le biais de la signalétique et des couleurs que l’on emploie, en lien avec la décoration. 

Alexandre Minel : Généreuse, colorée et décontractée. Ma mission est de préserver et de faire vivre l’identité graphique qui était déjà créée quand je suis arrivé. Pour cela, il faut rester innovant et capter l’actualité, l’air du temps. On travaille avec des typos impactantes qui ont un réel pouvoir d’attraction, sur des punchlines (« Un shoot de spectacle vivant », « Les enfants d’abord »…), parfois le name-dropping dans la ville, on utilise aussi les codes des réseaux sociaux. On a plutôt un bon retour du public sur ces actions. Nos campagnes d’affichages print ne servent pas le remplissage mais davantage la notoriété et la singularité du lieu. 

Comment sont organisés les rôles et les missions communication ?

Ludovic Moreau : Le théâtre a 30 ans avec une histoire, une équipe et un service de communication. La direction de la communication chapeaute aussi le développement qui renforce les relations publiques. On travaille davantage le rapport au territoire dans ce service qui rassemble 3 salariés en lien avec le directeur de la communication. J’ai délégué le rapport direct à Alexandre Minel, tout en restant force de proposition et en validant tout ce qui sort pour continuer à avoir une vision sur l’identité du lieu. C’est aussi parce qu’il y a un aspect créatif et ludique que j’aime beaucoup dans la communication.

Qu’est-ce qui guide votre communication ? En quoi est-elle singulière ? 

Ludovic Moreau : Une bonne communication dépend aussi beaucoup de la programmation. Je me remets beaucoup en question par rapport à ça. Quand je pense au planning et aux différentes temporalités dans la saison, je pense aux relations publiques à la manière dont ils vont travailler. Je suis très attentif aux artistes, aux formes, aux thématiques et à la qualité visuelle. Il peut y avoir des déceptions bien entendu mais une une programmation que l’on souhaite la meilleure possible reste le meilleur outil de communication pour un lieu. À ce moment-là, j’aime aussi solliciter mes collègues de la communication pour qu’ils sentent et réagissent au rythme de la saison.
Nous sortons d’une période qui nous a obligés à nous remettre en question. Cette année, enfin (!), nous savons que nous allons avoir une vraie saison. Le numérique a été omniprésent, bien entendu, et nous avons essayé de nous renouveler à travers des tutos et des jeux, un quizz pour choisir son spectacle idéal, le partage de ressources en ligne dont des captations. Mais notre enjeu a été surtout de créer le lien et des choses différentes, des temps de parole et de spectateurs. 
En mai dernier, on a créé un click and collect artistique : le public réservait un créneau  de dix minutes et on venait voir une petite forme ouverte pour 6 personnes maximum dans laquelle on recréait les conditions de cette rencontre artistique. Notre envie était vraiment d’avoir une communication et une relation aux publics sans refuser le numérique mais aussi avec d’autres perspectives et d’essayer des choses un peu différentes. De créer de l’espoir. Et aussi de réagir à l’actualité : si le click and collect était possible dans les commerces, pourquoi ne pas transposer ce concept dans un théâtre, avec l’idée d’une émotion artistique à emporter ?
Pour la suite, le but de la communication dans le théâtre c’est faire connaître les projets, mais c’est surtout faire venir sans tout inféoder à la fréquentation. Nous avons la chance d’être dans un théâtre de cœur de ville avec une grande diversité de publics. Nous avons aussi réussi à maintenir la relation avec les 15-25 ans, une tranche d’âge si volatile, grâce à plusieurs spectacles (Yseult, Jason Brokers) et à différents dispositifs tel le Pass culture ou notre partenariat avec le Crous.

Alexandre Minel : Même s’il y a davantage de réservations à la dernière minute, nous n’avons pas trop à nous plaindre en cette période.
Aujourd’hui, notre défi c’est de faire revenir les adhérents que nous n’avons pas encore revus et de toucher de nouveaux spectateurs qui pourront devenir adhérents de l’Avant Seine. C’est ce que l’on fait par le biais des campagnes sur les réseaux sociaux qui nous permettent de nous adresser à d’autres publics et de vendre aussi des places de manière efficace. Nous avons travaillé avec Tradespotting (agence de marketing et publicité sur le numérique) sur le sujet mais désormais nous réalisons les campagnes en interne avec des budgets très variables. 
En revanche, pour nos adhérents, on privilégie l’édition et le print. On a même une logique de goodies avec des éditions sous forme de calendriers (comme on écrirait à un proche), de cartes de vœux originales (des stickers cette année) et d’illustrations en séries limitées pour créer un sentiment d’exclusivité. 

Quels sont les temps forts de communication d’une saison ? 

Ludovic Moreau : Le lancement de la saison, bien entendu, car on essaie de faire du buzz et ça crée une émulation. À cette occasion, on travaille la plaquette et le site en même temps dès le mois de mars, pour une présentation que l’on délivre comme une campagne courant juin. L’idée est vraiment de présenter tous les spectacles pour donner sa chance à chacun.
On a ensuite une programmation jeune public lors des journées trimestrielles « Les enfants d’abord ».
Et puis, pour la première fois cette année, le festival En Corps et Encore avec une programmation autour du mouvement : de la danse et du cirque, du mime. Malgré le contexte, on a tenu à le lancer cette année pour donner de la visibilité à de jeunes projets, des créations, des compagnies internationales, avec l’envie de laisser libre cours au corps, à la vie. 
J’ai programmé les compagnies en résidence ou suivies avec des thématiques ludiques, autour du physique et proches du sport. Colombes est l’une des villes olympiques, donc ça peut avoir un écho avec l’idée de regrouper des projets vitaux et combatifs. 

Quels sont vos trois outils de com essentiels ?

Ludovic Moreau : Je dirais d’abord l’outil numérique au global, et surtout cette interaction entre les réseaux sociaux et le site avec des campagnes publicitaires, même si on ne le fait pas sur toutes les propositions. On est très proactif sur le numérique et on le pense de manière très dynamique.
Et puis, toujours comme pas mal de lieux, la brochure, même si personnellement, je n’ai pas un lien très fort à cet objet de communication et commercial. Mais j’aime bien la notion d’éphémère qui est propre aussi à notre métier. Désormais, on essaie de raisonner l’impression au moment des adhésions mais l’obsolescence est rapide. C’est tout de même toujours un soutien à la communication globale qui touche et reste plus proche de certains publics. 

Alexandre Minel : Pour moi aussi, la brochure reste un outil essentiel de notre communication de lieu.
Sur le numérique et plus particulièrement les réseaux sociaux, les vidéos nous permettent d’apporter plus de contenus sur les spectacles tout en créant un fonds d’archives à partir d’interviews d’artistes, et les Reels (mini-formats vidéos enrichis sur Instagram) nous permettent désormais d’être plus visibles et de parler de la vie du lieu d’une manière ludique. 
Enfin, les campagnes digitales (sponsoring et Facebook ads notamment), nous sont désormais très utiles dans un contexte de réservation de dernière minute. 

Un exemple de réussite dont vous êtes particulièrement fiers ?

Ludovic Moreau : Je dirais que c’est l’opération click and collect dont j’ai parlé tout à l’heure en raison de la relation que nous avons pu créer avec le public à travers cet événement. 
Je suis aussi très fier de la visibilité de certaines programmations dans la presse comme Mellina Boubetra dans Le Monde. Le festival nous permet de renouveler nos échanges avec la presse avec de vraies retombées dans les quotidiens nationaux. C’est un travail qui est aussi facilité par l’expertise et le réseau d’Alexandre qui a travaillé en agence de relations presse. 

Alexandre Minel : C’est intéressant et excitant de travailler un temps fort comme le festival car habituellement, comme nous sommes un lieu d’accueil et de diffusion, la plupart du temps sur une seule date, nous ne menons pas d’actions particulières avec la presse. Par ailleurs, il y a de moins en moins de place pour le spectacle dans les médias et la situation s’est aggravée depuis le confinement. Pour moi aussi, le click and collect est une très belle opération. Nous avions choisi d’être relativement discrets pendant le confinement sur les réseaux sociaux ce click and collect est devenu un événement fort, conçu avec une toute une campagne de communication, qui nous a permis de retrouver des spectateurs qui n’étaient pas venus au théâtre depuis plusieurs années.
Ce qui rend aussi très fier le service communication et développement, c’est d’avoir pu jouer plusieurs spectacles dont Les Fables à la fontaine devant 1 000 élèves entre janvier et mai 2021 dans des écoles maternelles et élémentaires, des collèges et des lycées.

Un mot optimiste en cette rentrée (presque) post-Covid-19 ?

Ludovic Moreau : Finalement, 2022-2023 sera ma première vraie saison dans le cadre de ma mission.
Elle commence avec l’envie encore plus forte de se rassembler et de se retrouver, après autant de difficultés. 
On est revenus avec une envie personnelle et une véritable valeur ajoutée humaine. Le plaisir est encore plus dense et plus puissant qu’auparavant, ça m’a donné encore plus envie de communiquer ma passion au public. Je crois qu’on a découvert cette possibilité d’aller au-delà de toutes les contraintes. 

Pour finir, qu’est-ce qui vous rend fous de joie dans votre métier ?

Alexandre Minel : Les mails des spectateurs. Lorsque l’équipe reçoit un mail d’’un spectateur, qui partage ses émotions ou qui aurait aimé que la salle soit pleine tellement le spectacle lui a plu, cela prouve la proximité avec les publics qui sont à la fois nos amis et nos alliés dans notre métier. Récemment, la 2b company a présenté Giselle chez nous et a été surprise et touchée par les retours spectateurs que je leur ai fait suivre.

Ludovic Moreau : De faire un métier avec des habitudes bien sûr mais qui s’appuie sur cette chose qui est de l’ordre de l’ « hors normalité » : présenter un spectacle et convoquer quelque chose dans le temps et hors temps, qui peut sembler absurde dans un monde normal et convenu. Rendre un lieu le plus vivant, plus accessible toujours plus actuel avec cette conscience de travailler dans un milieu à part avec une valeur en soi : la culture est essentielle et tellement singulière. 

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