Chaque mois, nous allons à la rencontre des dirigeant·e·s et communicant·e·s du secteur pour partager leurs visions du métier, leurs bonnes pratiques et leurs motivations. Pour ce 11e entretien, nous avons interviewé Thibault Prioul, social media manager au Théâtre du Châtelet à Paris, quelques jours avant l’annonce de la nomination d’Olivier Py. 

Thibault Prioul n’avait pas forcément pour ambition de travailler dans la communication, mais plutôt de devenir comédien. Après un DUT SRC (Services et Réseaux de Communication, aujourd’hui DUT MMI Métiers du Multimédia et de l’Internet), il obtient un diplôme en relations presse, relations publiques et événementiel à l’ISCOM. Son attrait pour la comédie l’amène naturellement vers le secteur culturel. Il commence à la Cité de l’architecture et du patrimoine de Paris en tant que chargé de communication en alternance pour répondre à l’enjeu : “Quelles stratégies de communication pour attirer un nouveau public ?”. Déjà, il travaille sur un “programme ambassadeurs” impliquant tou·te·s les professionnel·le·s qui gravitent autour de ce lieu culturel sans vraiment le connaître et qui pourraient en être des prescripteur·rice·s – « un capital relationnel essentiel pour une institution comme celle-ci. »

Pendant quatre ans, il assure ensuite en indépendant des missions de conseil en communication, jusqu’à sa collaboration avec Jérôme Pernoo, qui ouvre alors le Centre de musique de chambre de Paris et le recrute au poste de responsable de la communication. Un nouveau projet pour lequel tout est à construire, comme il les affectionne. Il est ensuite rappelé par la Cité de l’architecture et du patrimoine où il occupe pendant plus de deux ans le poste de chargé de communication numérique et relations publiques.

C’est en 2019 qu’il prend ses fonctions au sein du Théâtre du Châtelet en tant que chargé de marketing opérationnel. Anne Rubinstein, nouvelle secrétaire générale en 2021, engage un projet artistique différent et repense l’organisation de son service. Sous sa direction, Thibault Prioul prend le poste de social media manager qu’il occupe au moment de cet entretien, au sein d’une équipe sous la responsabilité de Florence Fontaine, aux côtés de Thomas Amouroux, responsable du numérique, Timothée Chaine, responsable du contenu éditorial et Nollaig Dipode, graphiste.

Quels sont les 3 mots qui caractérisent la stratégie de communication du Châtelet aujourd’hui ?

Le premier mot serait « acquisition », car nous sommes en permanence à la recherche des publics susceptibles de venir voir tel ou tel spectacle. Pendant dix ans, nous avons été le temple de la comédie musicale. Mais nous sommes restés fermés longtemps. Puis, quand nous avons rouvert, la direction est partie un an plus tard. Désormais, notre enjeu est de fidéliser : nous nous renouvelons à chaque fois, car les spectateurs viennent désormais pour un spectacle plus que pour l’institution. 
Le deuxième mot serait le « ton », la façon dont nous nous adressons à notre public. Lorsque nous avons revu notre charte graphique avec l’agence Base Design, nous avons retravaillé le « tone of voice » – la tonalité de nos éléments rédactionnels – de manière beaucoup moins frontale qu’avant. 
Le troisième mot serait la « créativité » : que ce soit dans le design ou les opérations mises en place pour chaque spectacle, la créativité est prépondérante dans notre stratégie de communication. Aujourd’hui au sein du service, nous sommes 4 à 5 personnes, ce qui nous laisse davantage de temps pour développer des idées et mettre en œuvre de nouvelles choses.

Peux-tu nous donner des exemples d’opérations de communication qui traduisent cette créativité et votre « souplesse » de travail ?

42nd Street a été un très bel exemple de ce que nous sommes capables de mettre en œuvre aujourd’hui. L’enjeu pour nous était de remplir et rentabiliser 44 dates. Nous savions que le public viendrait, mais le résultat de nos efforts conjugués a dépassé nos espérances. Les opérations sur les réseaux sociaux ont été formidables. Nous avons lancé une énorme campagne d’influence classique, fait venir près de 40 influenceur·euse·s ainsi que des créateur·rice·s de contenu. Nous avons notamment un partenariat avec le média culturel L’éloge qui a produit des vidéos des coulisses, de la restauration du décor etc.

Mais ce n’est pas sur celui-là que j’ai envie de mettre l’accent, parce que le spectacle lui-même était pour beaucoup dans la réussite. Nous avons dû être particulièrement créatifs pour une autre création, compte tenu du peu d’éléments dont nous disposions et la difficulté à faire venir le public. Le Roman de Fauvel était une création mondiale de Peter Sellars sur de la musique médiévale, avec une mise en scène contemporaine. Pour aller chercher le public, nous avons dû développer des stratégies.

En premier lieu, nous avons noué un partenariat avec la BNF où le manuscrit original est conservé. J’ai aussi travaillé avec des créateur·rice·s de contenu pour toucher des publics que nous ne connaissions pas, celui de l’histoire de l’art notamment. Nous avons donc collaboré avec Camille Jouneaux de la Minute Culture (compte Instagram dédié à l’histoire de l’art), la nano influenceuse Clémence Chabrand des petites fiches opéra ou encore Antoine Vitek de Culturez-vous, à l’audience beaucoup plus large, qui a « vulgarisé » le Roman de Fauvel. Nous avons essayé d’inventer tout ce qui était possible, mais même en ayant activé « un million de leviers », à mon sens intéressants et très ciblés, nous n’avons pas vraiment réussi à déplacer les foules.

Travailler sur de la création, c’est complexe, c’est pourquoi j’aime bien prendre cet exemple-là, un sujet ambitieux pour lequel nous sommes fiers d’avoir actionné autant de leviers, qui me semble aussi intéressant et riche d’enseignements qu’un succès.

Comment sont répartis tes moyens budgétaires, y’a-t-il une différence par rapport aux autres lieux dans lesquels tu as travaillé ?

Lorsque je suis arrivé au Châtelet, j’ai vraiment voulu insister sur le fait que l’influence marketing a autant d’importance que l’affichage. Et c’est ce que nous essayons de mettre en place. Un théâtre comme le nôtre ne peut pas ne pas utiliser ces nouveaux médias. Dans les années à venir, je ne dis pas que ce soit impossible qu’on privilégie l’un sur l’autre, tout dépendra aussi de la nouvelle direction. Toute la partie relations presse est également hyper importante. Nous invitons des prescripteur·rice·s à assister aux spectacles, mais nous dédions aussi des moyens financiers spécifiques pour rémunérer les créateur·rice·s de contenu, ce qui me semble normal. Par exemple, L’éloge fait venir un vidéaste, ils font du montage, ils se rendent disponibles : ce n’est pas possible de demander une telle production gratuitement. À côté de ça, j’invite aussi des influenceur·euse·s et, bien entendu nous mettons en place des campagnes de « mass marketing ».  Enfin, il y a un autre volet : les personnalités, dans une logique de relations publiques. Sur 42nd Street, nous avons invité des personnalités qui ont de l’appétence pour la comédie musicale pour faire parler de l’événement. Pour ces actions, je m’appuie parfois sur des partenaires extérieurs comme Tradespotting, Blink ou encore Wead. 

« Sur les défis à venir, les époques changent tellement vite que je suis plus dans l’adaptation que dans la projection et l’anticipation. »

Aujourd’hui, comment vois-tu l’évolution des médias de la culture et du spectacle vivant ?

C’est très difficile aujourd’hui d’avoir des retombées. Honnêtement, nous avons la chance d’être le Théâtre du Châtelet et d’avoir des médias qui nous suivent. Il y a aussi le côté très mystérieux de ce que va devenir le Théâtre du Châtelet avec la nouvelle direction. Cette saison, 42nd Street a vraiment été notre respiration. Nous avons fait une belle recette et la presse a très largement couvert l’événement avec de nombreux sujets télé et radio, une très belle couverture médiatique dans un contexte où, je le rappelle, il y avait une énorme concurrence sur la comédie musicale.

Aujourd’hui, on sent beaucoup de tension, d’inquiétude dans le secteur du spectacle vivant, certains parlent même de « la fin du spectacle vivant ». De ta place, comment vois-tu les choses ? 

J’ai du mal à me projeter, honnêtement, j’avance un peu au jour le jour parce que je ne sais pas à quelle sauce nous allons être mangés prochainement. Mais si je regarde dans notre microcosme du Théâtre du Châtelet, même si on a vécu des choses difficiles et des périodes compliquées, le théâtre va bien. Sur tous les spectacles proposés, le public a répondu présent et j’ose m’avancer que, sur le reste de la saison, ce sera la même chose. Nous sentons que nous entrons vraiment dans la période d’après Covid (enfin j’espère ne pas me tromper en disant ça !). Mais, dans ce contexte, le public veut investir dans des valeurs sûres. La curiosité se perd un petit peu et c’est aussi notre défi : cibler et faire venir le public adéquat sur chaque proposition artistique. Sur les défis à venir, les époques changent tellement vite que je suis plus dans l’adaptation que dans la projection et l’anticipation. Nous sommes dans le court-termisme et essayons de remplir nos salles du mieux qu’on peut.

Dans le spectacle vivant, on parle aussi de crise d’attractivité et du recrutement. Comment l’expliques-tu, te projettes-tu toujours dans ce secteur ?

Nous ne ressentons pas de crise d’attractivité en tant que telle. Il y a du turnover et, à la communication honnêtement, nous sommes toujours très sollicités. Je sens qu’il y a un désir et c’est vrai que c’est toujours appréciable de constater que les gens ont envie de venir travailler dans notre maison.

Pour finir, qu’est ce qui te rend Overjoyed dans ton métier ?

Moi, ce qui me remplit de joie, c’est de voir le public heureux. Ce n’est pas du tout de la langue de bois parce que ça arrive très souvent qu’à la fin d’un spectacle, quand je vois le public heureux, je me mette à pleurer. La générale et la première de 42nd Street, ça a été très difficile pour toutes les équipes, parce qu’une grosse pression reposait sur les épaules du secrétaire général et de la communication – qui porte souvent la responsabilité de l’échec dans les institutions. Quand j’ai vu la beauté du spectacle, le succès que c’était, j’ai fondu en larmes. Cela m’est arrivé aussi récemment sur un spectacle qui m’a bouleversé : Parc d’Éric Minh Cuong Castraing avec des enfants en situation de handicap moteur et psychique. Le travail de communication nous a permis de rencontrer et travailler avec un autre public, sans faire de « handicap washing », et ça a été un véritable succès de billetterie aussi. Et bien entendu, j’aime beaucoup être en contact quotidien avec les artistes… quand ils se prêtent au jeu de la communication (rires). 

Théâtre du Châtelet